A lire La ville franchisée - David Mangin
La ‘’Ville Franchisée’’ de David Mangin qui comporte 350 pages, abondamment illustrées de croquis et de photos, décrit et analyse l’urbanisme de la ‘’ville franchisée’’ qui, selon l’auteur, s’impose partout dans le monde, transformant le paysage des villes et en particulier celui de leurs périphéries, balayant les anciennes échelles, détruisant tout ce qui la gêne dans sa progression .
On peut donner au mot ‘’franchisé’’ utilisé dans le titre deux définitions : l’une concernant le commerce, l’autre en tant qu’exception juridique dont fait l’objet un territoire. Ces deux sens se combinent parfaitement bien dans le cas de la ville franchisée telle que la définit David Mangin dans son livre.
Pour saisir, décrire et analyser les phénomènes nouveaux d’urbanisation au cours de ces trente dernières années, l’auteur s’est attardé en premier lieu sur trois facteurs apparus de façon massive dans la périphérie des villes dans la seconde moitié du 20ème siècle : les infrastructures routières et autoroutières, les centres commerciaux et les ensemble de maisons individuelles (lotissements ouverts ou fermés). Le livre s’articule en sept chapitres au cours desquels l’auteur propose une grille de lecture des évolutions morphologiques en jeu : Les villes à l'épreuve de la mondialisation ; un modèle occulté : l'urbanisme des secteurs ; la ville sectorisée : les infrastructures (auto)routières ; l'urbanisme commercial ou ville franchisée ; la ville individuée (notion de maisons individuées plutôt qu'individuelles) ; une comparaison avec l'urbanisation américaine ; s'affranchir de la ville franchisée. Le dernier chapitre renferme la proposition de l’auteur pour sortir de la logique de la ‘’ville franchisée’’ et se diriger vers la ‘’ville passante’’, plus urbaine.
Tout au long de son livre, l'auteur insiste sur l'articulation entre voiries, tracés, foncier et règles d'édification, tout ce qui participe actuellement à structurer les modes de production de la ville. En effet, l’auteur passe rapidement sur les approches macro-économiques ou anthropologiques expliquant les raisons de la fabrication et de l'adhésion au phénomène de l'étalement urbain. En termes de méthode, David Mangin analyse, avec de nombreux croquis notamment, les formes urbaines nouvelles et insiste en particulier sur l’évolution (déconstruction, recomposition) du modèle radioconcentrique qui est le modèle de croissance urbaine historiquement dominant dans la plupart des grandes villes. L’auteur abouti alors sur ce qui correspond au nouveau modèle de l’étalement urbain : la modèle pluri-radioconcentrique, le " pluri " étant source de débats. En effet, ce pluri-radioconcentrique ne conduit pas à la production de nouveaux espaces ouverts, de liberté et d'autonomie, mais tend plutôt à un ‘’urbanisme de secteurs’’ source de ségrégations sociales et spatiales, d’un zonage économique et social.
Cette évolution serait en particulier alimentée par l’usage croissant de l’automobile individuelle pour les déplacements quotidiens : le passage obligé par la voiture renforce la muséification des centres historiques, la marchandisation des villes à travers le développement de systèmes (auto)routiers toujours plus performants et plus denses, l'éparpillement des maisons individuelles en lotissements et la multiplication des centres commerciaux périphériques (“maisons de maçon”,“maisons sur catalogue”,la plupart du temps sans architectes, tout comme les entrepôts et des magasins qui fleurissent aussi dans les périphéries : vastes centres commerciaux équipés de restaurants, hôtels et multiplexes, tous membres d’une poignée d’enseignes : c’est le règne de la construction et de la franchise). Par ailleurs, l'objectif des lois Pasqua de 1998 (loi sur l'aménagement du territoire) qui est de mettre tout point du territoire français à moins de 45 minutes d'une autoroute, va être réaliser très vite. Cependant, il existe d’autres éléments qui maillent le territoire ; autoroutes et voies rapides urbaines s'articulent avec la voirie secondaire et tertiaire pour desservir les villes, les quartiers, les îlots. La voie secondaire a dans ce système un statut ambigu entre la rue traditionnelle et la voie purement circulatoire, ne lui confèrent un caractère ni urbain ni autoroutier. Cette hiérarchisation correspond ainsi à certaines représentations de la ville favorisant la mise en oeuvre d'un type précis de schéma d'aménagement. L’auteur insiste par ailleurs sur la connivence d’abord fortuite, puis revendiquée, entre la logique du tout automobile et la logique commerciale des grands groupes de distribution s’implantant dans les périphéries ; car c’est l’association nouvelle de la route et la consommation de masse qui produit l’urbanisme de la ville franchisée. Le phénomène étant renforcé par le désir de maison individuelle de nombreux habitants des villes, lui même renforcé par l’attractivité financière de ces produits, dans des lotissements prenant souvent des formes neo-villageoises, sans commerces ni services, où les familles sont juxtaposées à bonne distance.
En outre, les transformations de l’espace urbain périphérique réclamées pour au nom d’une accessibilité plus grande pour l’automobile individuelle pose la question des justes échelles de l’aménagement, entre l'îlot de faubourg et le secteur de périphérie. La croissance des villes françaises s’est le plus souvent faite par couronnes successives ; l'observation de ces couronnes successives montre un accroissement conjugué des opérations d'urbanismes et des surfaces les accueillant. Ainsi, à partir de l’étude du cas français, David Mangin observe successivement la sectorisation des territoires, les mécanismes de la franchisation des villes, au sens commercial et au sens domanial, et l'individuation programmée de l'habitat.
L’auteur cherche ensuite dans l'influence des Etats-Unis en Europe, en Asie et en Afrique à distinguer ce qui relève des modes de vie et de ce qui relève des grandes dynamiques liées à la mondialisation de l'économie (généralisation d'un urbanisme de secteurs, au service de l’économie et du tourisme). Il d écrit les phénomènes récents d’érosion de la grille américaine au profit d’un modèle radio concentrique et vers un modèle de boucles et de culs de sac, caractéristique des environnements sécurisés. S’il l’on retrouve effectivement ces tendances dans les périphéries des villes européennes, l’auteur souligne que l’importation en Europe de modèles urbains mondialisés passe avant tout par des changements d’échelle très importants.
Dans sa conclusion, limitée au cas français, David Mangin propose de nouveaux modes d’extention urbaine, des alternatives à l'urbanisme de secteurs ce qui passe par une " meilleure cohérence des politiques publiques ". Il formalise alors trois scénarios :
- L'urbanisme du réel, où les déplacements sont dominés par l’automobile individuelle, où les responsabilités sont transférées du public au privé et et où la ville dans son ensemble est marchandisée. Les logiques sectorielles sont par ailleurs confortées par la superposition des découpages territoriaux.
- L'urbanisme du fantasme, qui inversement donne la priorité aux modes doux et aux transports en commun, et aux villes en doigts de gants qui incorporent ainsi des corridors verts.
- L'urbanisme du possible qui, de façon intermédiaire, invente des formes urbaines nouvelles rendant la ville moins dépendante à l’automobiles et les différents secteurs moins enclavés, en parallèle d’un redécoupage et d’une recomposition administrative et territoriale.
David Mangin soutient par sa part cette troisième voie, qui passe par un urbanisme de tracés, une ville " passante et métisse ". Cela implique aussi un changement des échelles des projets, passer du projet urbain au projet territorial. Tout ceci devant permettre de penser un développement urbain indissociablement d’un développement durable. Par ailleurs, le projet urbain à la française apparaît pour l’auteur comme un bon moyen de résister à la mondialisation des formes urbaines, malgré son coté convenu, et ses programmations normalisées en périphérie. L’auteur souligne enfin la nécessité de conserver et de valoriser l’aspect métissé et hétérogène des faubourgs et des périphéries, où les espaces de qualité non sont pas rares. Il s’agit par là de lutter pour la ville ‘’passante’’, contre la ville franchisée et ses environnement sécurisés. Ceci passe notamment par l’inversion de la tendance française de l’architecture, laissant entièrement aux opérateurs privés les responsabilités en matière de production, de continuité et d’accessibilité de l’espace public dans les périphéries.










